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                                               Georges de Bellio, vers 1865, photographie. Collection Remus Niculescu

Trait d‘union entre l’homéopathie et Claude Monet : Georges de BELLIO

(Bucarest, 20 février 1828 - Paris, 26 janvier 1894)

Brigitte Lécot-Famechon [1]

 

« Au grand nombre, ce nom ne dira rien. Mais pourquoi réserver l’hommage à ceux-là seuls qui ont eu la célébrité méritée, ou le bruit de l’actualité, de leur vivant ?

Pourquoi ne pas essayer de révéler cet homme, de perpétuer sa mémoire.

           M de Bellio, Roumain, vivant à Paris depuis de longues années dans le monde de l’intelligence et de l’art (et de la médecine homéopathique), a joué un rôle à la fois important et modeste. Quel rôle ? celui de l’homme de bien, de l’homme de bonté, encourageur et actif. Ils se sont souvenus de lui, ces artistes qui le trouvèrent à leurs mauvais moments. Claude Monet, Pissarro, Renoir, d’autres encore, qui rencontraient tant d’hostilités, tant d’incompréhensions. Ils fut pour eux le compagnon des mauvaises heures, celui qui les aida si souvent à franchir des passes difficiles [2]. »

Le journaliste Gustave Geffroy (1855-1926), écrivain et critique d’art, fondateur de l’Académie Goncourt a écrit cet éloge après le décès de Georges de Bellio.

Il qualifie bien ce mécène des peintres impressionnistes, un homme discret et méconnu.

Geffroy était un ami de Claude Monet, rencontré pendant des vacances à Belle-Île en 1886. Il deviendra aussi celui de Georges de Bellio, collectionneur, qui a financé le peintre à ses débuts.

Plus oublié encore, sera le rôle de Georges de Bellio comme médecin homéopathe au sein de l’homéopathie française et parisienne.

Georges de Bellio a soutenu ces peintres (principalement Monet), non seulement financièrement et moralement, mais  il a aussi accompagné leurs succès en prêtant les toiles de sa collection pour des rétrospectives, ou en louant un lieu pour une exposition.

 « Toutes les fois que l’un de nous avait un besoin urgent de deux cents francs, serappelle Renoir, il courait au Café Riche, à l’heure du déjeuner; on était certain  d’y trouver M. de Bellio, lequel achetait, sans même le regarder, le tableau qu’on lui apportait.»

Le Café Riche est situé boulevard des Italiens à Paris. Célèbre et luxueux restaurant gastronomique, immortalisé par Maupassant dans Bel ami ; il est fréquenté par de nombreux écrivains (Flaubert, Zola, Daudet...) et devient le quartier général de Georges de Bellio.

Des dîners impressionnistes s’y tiennent une fois par mois.

Ils réunissent de Bellio avec Monet, Pissarro, Renoir, Sisley, Caillebotte, Théodore Duret, Gustave Geffroy, Edmond de Goncourt, Octave Mirbeau et Mallarmé.

Georges de Bellio et Claude Monet sont devenu amis, dix-huit années de correspondance en témoignent.  Dans une lettre datée du 18 mai 1884, de Bellio, sollicité encore une fois pour une exposition, répond à Monet :

« Vous savez et vous ne savez peut-être pas tout à fait combien, je suis heureux de pouvoir vous être agréable et de pouvoir, aussi, contribuer à tout ce qui peut faire connaître votre magnifique talent… »

L’adjonction à cette exposition des œuvres du sculpteur Rodin sera un double régal artistique pour les délicats et les amateurs d’Art vrai. On admire en vous la couleur, la lumière, l’air, en un mot, la vie de la nature fixée sur une surface plane.  

Dans Rodin c’est encore la vie qu’on admirera sous une autre forme, la vie solidifiée, si je puis m’exprimer ainsi. Et maintenant, vive Monet ! vive Rodin ! For ever Monet! For ever Rodin !  Hourrrrha ! » [3]

Les lettres de Monet sont, pour la plupart, des appels à l’aide . Quelques louis ou un billet de centfrancs en avance d’une toile ou deux cents francs pour lui éviter un déménagement à la cloche de bois, parce qu’il n’arrivait pas à joindre les deux bouts, qu’il devait payer des dettes… Monet demande aussi à son ami médecin de formation, des conseils et des soins. Dans sa lettre du 20 juin 1876, il lui écrit : «N’oubliez pas que vous m’avez promis vos soins et que vous devez me guérir » (Collection Wildenstein 90)

Il lui envoie aussi des lettres de détresse quand sa chère épouse Camille se meurt en 1879, probablement d’un carcinome utérin.

Pendant 5 ans, de 1876 à 1881, Georges de Bellio achète 58 tableaux à Monet.  Néanmoins, il continuera, jusqu’à son décès, d’enrichir sa collection d’œuvres de Pissarro, Renoir, Berthe Morisot, Degas, Sisley et d’autres artistes plus ou moins reconnus.

Guidé par son goût, son courage et sa perspicacité, étranger à la spéculation, il a rassemblé des œuvres emblématiques du mouvement impressionniste depuis son origine jusqu’à son apogée en 1880 [4].

Ses appartements successifs sont couverts de tableaux, d’œuvres d’art, au point qu’il est obligé de louer une boutique en face pour les exposer à ses amis.

Son rêve d’avoir une galerie de peinture est brisé par sa mort brutale début 1894.

Qui était Georges de Bellio ?

Gheorghe Bellu naît dans une famille aristocrate riche et cultivée, descendants de Boyards de Macédoine et établit à Bucarest depuis la fin du dix-huitième siècle.

Il est le cadet des quatre fils d’Alexander Bellu et d’Irina Vacarescu.  

À l’époque, Bucarest vit à la mode de Paris, on y apprend la langue française dès le plus jeune âge et pas seulement chez les élites. Il étudie le dessin avec un peintre français. Comme des nombreux compatriotes, à 23 ans, il vient s’instruire à Paris et s’installe avec son frère aîné, Constantin, dans le 9e arrondissement. Il y demeurera sa vie durant.

Ce quartier de la Nouvelle Athènes est celui des marchants de tableaux et de couleurs. La galerie Bernheim voisine celle de Durand-Ruel ou de Théo Van Gogh, non loin, la boutique du Père Tanguy vend les tubes de peinture.

C’est aussi le quartier des écrivains à la mode qui se rencontrent soit à brasserie de La Nouvelle Athènes, place Pigalle pour les plus modestes soit au Café Riche ou encore à la maison Doré, restaurant le plus cher et le plus recherché par des personnalités comme Zola, Flaubert, Mallarmé, Maupassant, Daudet et bien d’autres.

L’hôtel Drouot est proche et Georgesde Bellio y achète aux enchères des dessins, des œuvres de Delacroix, Manet, de peintres hollandais et un Fragonard.

Ses choix sont éclectiques, il collectionne aussi bien des plats hispano-mauresques que des netsuke japonais.

Il est curieux de tout, s’intéresse à la photographie. Il devient alors membre de la Société française de photographie et l’ami de Nadar.

Son intérêt se porte spontanément sur les peintres rejetés par l’Académie des BeauxArts, les futurs impressionnistes. Il achète leurs toiles avant même de les rencontrer.

Cependant, à son arrivée en France en 1851, il s’est inscrit à la faculté de médecine de Paris. A-t-il suivi le cursus médical jusqu’à son terme ? Aucune thèse de doctorat n’est recensée à son nom et il ne peut donc exercer ni ouvrir un cabinet médical.

Qu’importe, nul besoin de travailler pour vivre, il a une fortune personnelle qu’il disperse par ses coups de cœur artistiques et des dons multiples.  

Au milieu du dix-neuvième siècle, l’homéopathie est en plein essor à Paris. Samuel Hahnemann s’y est installé en 1835 et a exercé jusqu’à son décès en 1843. Sa veuve, Mélanie d’Hervilly, a continué  la voie de son époux, en pratiquant à sa place avec ses disciples.

Cette nouvelle méthode thérapeutique, l’homéopathie, a suscité de nombreux adeptes parmi les médecins français, des sympathisants et surtout de nombreux patients.

La personnalité de Georges de Bellio le conduit naturellement  à s’initier à cette nouvelle méthode, pleine de promesses, qui aborde de façon différente la maladie par les sensations et impressions du malade.

Il ne pouvait en être autrement, pour cet esprit intelligent, tolérant et avide de connaissances .

Où et comment a-t-il appris l’homéopathie.  Nul ne le sait vraiment, peut-être a-t-il suivi les cours de Léon Simon à la Sorbonne ?

Deux traductions majeures des textes d’Hahnemann figurent dans sa bibliothèque ainsi que divers ouvrages de ses disciples allemands et français (Jahr, Teste, Léon Simon, cours de la Sorbonne, Pierre Jousset,  Noack, Daudel).

Il n’est pas docteur, mais ses amis, Monet, Pissarro, Renoir, Sisley et leurs famille sont des patients assidus qu’il soigne gracieusement jusqu’à fournir les remèdes.

Il agit de même avec ses amis écrivains et le bouche à oreille fonctionne à merveille.

Octave Mirbeau écrit en 1893 à son ami Paul Hervieu :

« Pourquoi ne vous soignez-vous pas par homéopathie ? Je ne crois plus qu’à cela. Et, quand je suis malade, je trouve à ces remèdes faciles, un véritable soulagement

Concernant ses actions en faveur de l’homéopathie, on reconnaît l’homme de conviction, fidèle à ses valeurs, actif, non par ambition mais par générosité.

Il est membre de la Société médicale homéopathique de France.

Celle-ci fusionne le 11 décembre 1889 avec la Société hahnemannienne fédérative pour devenir la Société Française d’Homéopathie.

Quand les instances homéopathiques de l’époque décident de créer un hôpital  à Paris, pour « témoigner de la valeur de la doctrine homéopathique et agir dans la charité », il devient le Vice-président du comité protecteur de la fondation de cet hôpital.

Il assiste à l’inauguration de l’hôpital Hahnemann, situé 26, rue Laugier aux Ternes de Paris, le 10 avril 1870. Son Président, le docteur Davet, comte de Beaurepaire, conclut son discours par ces mots :

«  Asile ouvert au pauvre qui souffre, cet hôpital sera aussi un lieu d’étude pour quiconque veut observer et juger une doctrine, hélas méconnue…[5] »

Georges de Bellio consulte bénévolement dans cet hôpital comme tous les médecins. Tous les soins sont gratuits grâce aux dons et aux dames patronnesses.

Il n’assistera pas au transfert de l’hôpital, à Neuilly-sur-Seine, envisagé en mai 1894, puisqu’il décède brutalement le 26 janvier de la même année.

Un nouvel Hôpital Hahnemann s’est ainsi construit dans cette ville de Neuilly-sur-Seine, au début du vingtième siècle, qui ne survivra pasaux lendemains de la seconde guerre mondiale.

Grâce au génie du médecin homéopathe Jacques Pezé et de quelques autres, il renaît sous la forme d’un Institut ou Centre Hahnemann dans les années soixante dix au 85, rue de Chézy de Neuilly-sur-Seine.

C’est encore aujourd’hui, un asile ouvert aux associations, écoles d’homéopathie ou de médecines alternatives, hélas maltraitées. Un lieu d’étude pour tous ceux qui veulent observer, apprendre et comprendre les enjeux de santé du futur.

Côté vie privée, de sa rencontre avec Catherine Rose Guillemet, naît en 1863, sa fille unique, Victorine.  Elle épouse en 1892, Eugène Donop de Monchy.

Sans enfant, elle lègue au Musée Marmottant Monet, situé au 2 rue Louis Boilly, dans le seizième arrondissement parisien, une grande partie de la collection de son père. Elle décède à Paris en 1958.

                                   Bellio2

Portrait de Mademoiselle Victorine de Bellio

par Auguste Renoir, 1892

                                                 Musée Marmottan- Monet

 

 

En conclusion, je vous livreces phrases de Marie Auvray, médecin homéopathe :

« Face aux toiles des impressionnistes, le ressenti est important, il fait appel aux émotions.

N’en est-il pas de même avec nos patients ?

Nous nous appliquons à éclaircir leurs maladies en faisant appel à leurs ressentis, leurs sensations, leurs impressions, leurs émotions.

En artiste de la médecine, avec le regard de spectateur, nous devenons acteurs de leur guérison [6]. »

              Références bibliographiques

[1] Vice-présidente et secrétaire général de la Société française d’homéopathie

[2] Gustave Deffroy, Monet, sa vie, son œuvre, Macula,1980, p.303

[3] Marianne Delafond, conservateur du Musée Marmottan-Monet

[4] Monique Vénier-Ziesel, Portrait d’artiste A l’apogée de l’impressionnisme La collection Georges de Bellio, catalogue de l’ exposition, Paris 2007/2008.

[5] L’Hahnemannisme, journal de la médecine homéopathique, tome 3. 1870

[6] Marie Auvray. L’homéopathie à la rencontre de l’art pictural, Cahier de Biothérapie N°241 mai 2014.