Homéopathie : un appel à la raison

 

Suite à la publication, dans « Le Figaro » du 19 mars 2018, du texte intitulé « Comment faire face à la montée des « fake médecines » ? » et signé par 124 professionnels de santé, dont un quart environ sont restés anonymes, une polémique parfois caricaturale s’est mise en place, des plaintes auprès de l’Ordre de Médecins ont été déposées à l’encontre de certains signataires et Madame la Ministre des Solidarités et de la Santé a pris position pour un maintien du remboursement des médicaments homéopathiques, même si ceux-ci n’auraient pas plus d’effet qu’un placebo.

Nous souhaitons ici expliquer au public et rappeler aux confrères signataires de ce texte, en quoi consiste précisément l’activité d’un praticien prescrivant l’homéopathie, seule ou en complément des traitements conventionnels, et soulever la question de sa scientificité.

Les signataires de la présente déclaration sont tous titulaires d’un diplôme d’état et membres d’un ordre professionnel dont ils respectent le code de déontologie.

L’homéopathie étant une démarche complémentaire et non pas alternative (elle ne se substitue pas à la médecine conventionnelle), sa pratique suppose d’avoir auparavant posé un diagnostic puis élaboré une stratégie thérapeutique selon les données actuelles de la science.

Dès lors, deux situations peuvent se présenter :

  1. 1. L’état du patient requiert un traitement conventionnel. Le traitement homéopathique est alors prescrit en adjuvant, permettant souvent d’améliorer le confort du patient, ainsi que la tolérance et donc l’observance du traitement conventionnel. C’est du moins l’observation que font régulièrement les milliers de praticiens qui prescrivent l’homéopathie depuis des décennies à travers le monde.
  2. 2. Un traitement conventionnel ne s’impose pas d’emblée (par exemple : pathologies bénignes, fonctionnelles, psychosomatiques) ou bien les traitements allopathiques antérieurs se sont avérés insuffisants, inefficaces (pathologies chroniques ou récidivantes en échec thérapeutique) ou mal supportés. L’homéopathie peut alors être proposée d’emblée, seule ou en complément, en prenant évidemment soin de vérifier que ce choix ne constitue pas une perte de chance ou de temps pour le patient.

Dans les deux cas, le patient est suivi en fonction de son état, et le traitement est régulièrement réévalué selon l’évolution et la gravité de la pathologie. L’homéopathie constitue donc une possibilité supplémentaire dans l’arsenal thérapeutique d’une médecine unique qui doit tendre à être la plus complète possible.

Nous sommes bien conscients du fait que bon nombre de patients souhaitent aujourd’hui être toujours plus co-acteurs de leur santé et qu’ils cherchent souvent d’autres solutions que la médecine conventionnelle. Ceci peut les conduire à s’adresser à des personnes non habilitées à prescrire ou à conseiller des médicaments ou des interventions non médicamenteuses de toute nature.

Notre double formation, conventionnelle et complémentaire, nous permet justement de conseiller au mieux les patients, afin de leur éviter de s’égarer sur des chemins hasardeux et de les mettre en garde vis à vis de pratiques inefficaces, trompeuses ou dangereuses. Il nous est ainsi fréquemment donné, après un entretien souvent nécessairement long, de pouvoir réorienter le patient désinformé vers la médecine conventionnelle.

C’est pourquoi nous refusons d’être confondus avec des « charlatans en tout genre ». Nous remercions vivement à cet endroit le Conseil National de l’Ordre des Médecins pour la prise de position exprimée dans son communiqué de presse du 22 mars 2018.

L’exclusion des médecines complémentaires du champ d’exercice de la médecine nous paraît donc beaucoup plus dangereuse que leur inclusion dans le système de soins, en permettant à des professionnels de santé dûment formés de les pratiquer de façon compétente et raisonnée, pour la sécurité des patients qui risquent risqueraient sinon de recourir bien plus massivement à des non professionnels.

L’homéopathie repose sur une expérience de plus de deux siècles, elle est pratiquée en France par environ 5000 médecins (1).

Les médicaments homéopathiques font l’objet de procédures d’autorisation de mise sur le marché ou d’enregistrement spécifiques, basées sur cette tradition et conformes à la réglementation (2), qui garantissent leur qualité et leur innocuité.

Par ailleurs, le faible coût des médicaments homéopathiques est reconnu, ils s’inscrivent donc dans la quête d’économies de santé à laquelle nous participons. Fin 2014, la part de l’homéopathie dans les médicaments remboursés par l’Assurance Maladie était de 0,32% (3), sachant que la part des médicaments dans les postes de dépense de la Sécurité Sociale n’est que de 16% (4). Les prescriptions homéopathiques sont donc proportionnellement bien loin d’être « coûteuses pour les finances publiques » ; aussi la DREES ou la Cour des Comptes pointent-elles bien plutôt le poids des pratiques frauduleuses, les coûts de gestion de l’Assurance Maladie (5) ou l’importance de cesser de centrer la médecine sur sa dimension curative, et ne mentionnent-elles aucune nécessité d’économie du côté de l’homéopathie (6).

Au reproche fait à l’homéopathie de ne pas avoir fait suffisamment la preuve de son efficacité selon les données actuelles de la science, nous répondons ceci : l’organisme humain ne saurait être appréhendé par une seule méthodologie, même si elle est fondamentale. Il s’agit d’une organisation complexe qui nécessite, en complément d’une approche analytique, une approche synthétique ou « globale », qui intègre les différents types morphologiques, les modes réactionnels et évolutifs, ainsi que les dimensions psychiques de chaque individu. L’homéopathie, comme d’autres médecines complémentaires, notamment la médecine traditionnelle chinoise, est un exemple d’une telle conception. Hippocrate, médecin fondateur de la médecine occidentale, auquel se réfèrent justement avec force nos 124 confrères, prônait lui aussi une démarche globale.

Une analyse d’un rapport du gouvernement australien sur l’efficacité clinique de l’homéopathie, rapport très critique publié en 2015 et fondé sur la synthèse de revues systématiques déjà publiées, a été récemment effectuée (7). L'auteur souligne, d’une part, que le traitement homéopathique, prescrit de façon individualisée, est délicat à adapter à l’échelle d’essais cliniques contrôlés en double aveugle, car il doit tenir compte de la maladie et du malade, ce qui limite le nombre de sujets recrutés. D’autre part, il relève que ce rapport australien ne retient pas de nombreuses études sur l’homéopathie au motif qu’elles présentent un nombre de participants inférieur à 150, éliminant ainsi beaucoup d’essais aux résultats positifs significatifs, qui sont par ailleurs notés dans le rapport, mais ne sont pas retenus dans la conclusion (8). Ce choix arbitraire pose clairement la question de savoir ce que l’on considère comme une donnée probante.

Ce rapport australien a fait l’objet de nombreuses autres critiques émanant en particulier du Homeopathy Research Institute (HRI), qui reproche principalement la non intégration de médecins connaissant l’homéopathie dans le groupe de travail (9).

A l’opposé, un rapport réalisé en Suisse en 2011 (10), soit 4 ans avant le rapport australien, a également analysé les revues systématiques faites en homéopathie, avec des conclusions très différentes. En tenant compte de la validité interne des études et de la conformité à la pratique de l'homéopathie, il débouche sur une évaluation beaucoup plus positive de l’efficacité, de la sécurité et du rapport coût/bénéfice de l’homéopathie lorsqu’elle est pratiquée adéquatement par des homéopathes. 

L’argument souvent opposé lors de l’évaluation des essais cliniques est celui du caractère non plausible de l’action biologique des hautes dilutions utilisées en homéopathie. Des travaux de synthèse en biologie permettent de contester cet argument ; l’action des hautes dilutions en homéopathie a été étudiée de façon approfondie, que ce soit en immunoallergologie principalement sur des systèmes cellulaires (11), ou sur des systèmes végétaux (12) et animaux (13). De nombreuses études donnent des résultats significatifs de façon reproductible, même si la confirmation par des équipes indépendantes reste parfois nécessaire. Les études physicochimiques des hautes dilutions ont fait l’objet d’un travail de synthèse récent (14), qui met en évidence la diversité des techniques utilisées et évalue la qualité des travaux.

Nous reconnaissons que la mise en évidence de preuves scientifiques de l’efficacité de l’homéopathie est complexe, mais nous demandons que des moyens suffisants soient mis en oeuvre et que des méthodologies adaptées soient utilisées. Une seule étude clinique randomisée contrôlée de phase III coûte actuellement de l'ordre de 20 millions d'Euros (15), ce que seule une multinationale pharmaceutique peut se permettre.

En Suisse, l’homéopathie a été intégrée en 2017, avec d’autres médecines complémentaires, dans les prestations de l’assurance maladie de base, après une période d’évaluation de 5 ans (16). En Allemagne, 71 des 113 caisses d’assurance maladie la prennent en charge (17).

Pourquoi une évaluation globale, objective et appropriée ne serait-elle pas aussi possible en France ?

Signataires

(4) http://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/cns2016.pdf

(5) http://www.modernisation.gouv.fr/sites/default/files/epp/epp_couts_gestion_assurance_maladie_rapport.pdf

(6) https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2017-11/20171129-rapport-avenir-assurance-maladie_0.pdf

7) Poitevin B, Rapport du gouvernement australien sur l’efficacité clinique de l’homéopathie : analyse et propositions, La Revue d'Homéopathie, 2016;3:105-116. https://doi.org/10.1016/j.revhom.2016.07.018

(8) National Health and Medical Research Council. 2015. NHMRC Information Paper: Evidence on the effectiveness of homeopathy for treating health conditions. Canberra: National Health and Medical Research Council; 2015 http://www.nhmrc.gov.au/guidelines-publications/cam02

(9) https://www.hri-research.org/2015/03/nhmrc-publishes-flawed-report-despite-concerns-raised-during-public-consultation/

(10) Borhöft, G.  Matthiessen P (eds) (2011). Homeopathy in healthcare – effectiveness, appropriateness, safety, costs, Berlin, Springer-Verlag, 234 p. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16883077

(11) Poitevin B, Survey of immuno-allergological ultra high dilution research. Homeopathy, 2015;104:269-276.

(12) Betti L, Trebbi G, Majewsky V, et al. Use of homeopathic preparations in phytopathological models and in field trials: A critical review. Homeopathy 2009;98:244–266.

(13) Bonamin LV, Cardoso TN, de Carvalho AC, Amaral JG. The use of animal models in homeopathic research—a review of 2010–2014 PubMed indexed papers. Homeopathy 2015;104:283–291.

(14) Klein SD,1 Sandra Wurtenberger S, Wolf U, Baumgartner S, Tournier A Physicochemical Investigations of Homeopathic Preparations: A Systematic Review and Bibliometric Analysis—Part 1. J Altern Complement Med 2018;1-13.DOI: 10.1089/acm.2017.0249

(15) Sertkaya A et al. Examination of Clinical Trial Costs and Barriers for Drug Development. ERG, 2014. Report to U.S. Department of Health and Human Services

(16)  Source Office Fédéral de la Santé Publique suisse : https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/themen/versicherungen/krankenversicherung/krankenversicherung-leistungen-tarife/Aerztliche-Leistungen-in-der-Krankenversicherung/Aerztliche-Komplementaermedizin.html

(17) Source « Krankenkassen Deutschland » (texte non traduit) :https://www.krankenkassen.de/gesetzliche-krankenkassen/leistungen-gesetzliche-krankenkassen/alternative-heilmethoden/Homoeopathische-Behandlung/search-13.html