Entretien avec le Dr Roland SANANES

 

roland sanane

( Congrès à la faculté de pharmacie de Paris* )

 

En.marge : L'homéopathie semble, à première vue, la plus acceptée des médecines alternatives. Qu'en est-il exactement ?

Docteur Roland Sananès : Les pouvoirs publiques ont offert aux médecins généralistes le droit à l'étude de cette spécialité, à raison de 27O heures sur un cycle de 3 ans, ainsi que le pouvoir de déclarer cette compétence sur une ordonnance ou sur une plaque de porte. On estime que 24 % des Français "continuent à faire crédit" à l'homéopathie, c'est-à‑dire qu'ils en font une utilisation régulière, quoique non exclusive.

            Pour ce qui est d'une véritable reconnaissance, je suis obligé de constater que nous sommes toujours en pleine guerre de religion. L'homéopathie ajoute à la médecine un chapitre dont les théories sont trop différentes, et dont les conséquences heurtent trop d'intérêts. Si nous passions de 24% à 31%, cela deviendrait insupportable pour les pouvoirs en jeu dans le domaine de la santé.

En.marge : Commençons par la guerre théorique.

Dr Sananès : Qu'est-ce que l'homéopathie ? D'abord, une pharmacopée qui utilise le génie des minéraux, végétaux, et animaux en dose tout à fait infinitésimale. Ces remèdes perturbent les esprits scientifiques parce que, lorsqu'on fait une dilution de la matière, on rencontre la funeste loi d'Avogadro-Ampère qui statue qu'à partir de la 9ème centésimale, il n'y a plus qu'une molécule circulante. Or nous utilisons des dilutions de la 9ème à la 3Oème centésimale (CH). Comment ça marche ? Il ne s'agit pas d'un nombre de molécules, mais de la transmission d'un message électro-magnétique au solvant qui le reçoit. La médecine allopathique agit quantitativement sur les récepteurs cellulaires, la médecine homéopathique réagit qualitativement, comme un signal agissant sur la mémoire cellulaire.

            A la pharmacopée est associée une pratique, diagnostique et thérapeutique. Le deuxième point qui nous est contesté, c'est d'avoir introduit la notion de diversité humaine. Si je vois un "phosphorique", un rétracté, plutôt petit et maigre, dont la capacité de rêverie est très enrichissante pour lui, à côté d'un monsieur qui fait 12O kilos, qui a le visage tout rouge, congestionné et pléthorique, je vais leur dire qu'ils n'ont pas le même terrain. C'est une évidence ! Elle nous conduit à délivrer des ordonnances qui ne sont pas la traduction rigoureuse d'une autre "loi", voulant qu'un médicament doit soigner tous les cas d'une même maladie. Nous aimons comparer l'être humain à une antique voiture à cheval, avec cocher, attelage et cheval. La médecine allopathique s'occupe de l'attelage, de tout ce qui ne va pas dans la matière quand le lésionnel est installé, elle y réussit pas trop mal sauf si l'on pense aux effets secondaires multiples. Le cheval symbolise les passions, domaine des spécialistes. L'homéopathie s'adresse au cocher, qui représente l'équilibre, celui qui tient les rênes. Elle s'ouvre vers la médecine du comportement pour évaluer le mental et le physique. Nous savons, et là nous sommes tout à fait proches des psychanalystes ou des psychosomaticiens, que l'individu a une capacité de mémorisation biologique exceptionnelle. L'arnica par exemple, remède contre les contusions, est aussi le remède des enfants qui ont été battus ou violés. Il efface la mémoire biologique des chocs tragiques de l'existence. Les dilutions, la vision de l'homme total et à la fois unique, tout dans l'homéopathie donne un prurit à l'esprit allopathique.

En.marge : Quel progrès précis cette vision permet-elle ?

Dr Sananès : Précisons tout d'abord que, si les épreuves de laboratoire sont validantes pour l'homéopathie, les thérapies sur l'homme ne peuvent l'être statistiquement avec les moyens dont nous disposons, parce nous admettons la diversité. C'est un point de blocage du dialogue. Ceci dit, les études comparatives homéopathie-placebo ont donné des résultats très probants. Nous obtenons aussi des résultats significatifs avec le phosphore sur des réactions d'hépatite A. Ces recherches sont scientifiques, les protocoles considérés comme tels par nos contradicteurs.

            Les maladies chroniques constituent l'un des domaines où l'avantage de notre vision globale explique et cause notre succès avec le plus d'évidence. Dans ces maladies, l'individu, en vieillissant, superpose plusieurs strates de la maladie et de sa propre évolution. La maladie se marie plus que jamais au terrain ! Pour les allergies, qui concernent plus de huit millions de Français, l'allopathie ne soigne que les phases de crise. L'homéopathie propose un traitement de fond. En gynécologie, elle permet d'éviter les hormones aux effets secondaires tout à fait fâcheux. Et tout ceci est peu, comparé aux succès que l'homéopathie va hélas devoir remporter auprès des maladies à venir, provoquées par la pollution. On s'est aperçu, très scientifiquement d'ailleurs, que les doses infinitésimales chassent les doses fortes restées dans l'organisme. Madame le Professeur Wurmser a intoxiqué des cobayes avec de l'arsenic et a observé son élimination. Au bout de 7O jours, 2O% de l'arsenic n'était pas éliminé. Il en restait dans les ongles, les poils, les dents, etc. En leur donnant alors de l'arsenic en doses infinitésimales, elle a vu l'élimination recommencer dans le corps. Idem pour les troubles de la mémoire causés par l'abus d'opiacées : des doses infimes d'opium restaure la mémoire. Nous entrons dans la subtilité de la médecine infinitésimale. Elle est d'autant plus controversée que, sur le plan psychologique, elle vise ce qu'on appelle la sauvegarde de l'identité d'un individu. Sa définition de la santé retrouvée inclut l'envie de faire des choses qu'on ne faisait pas auparavant. Seule une évolution intérieure donne cette envie, pas un médicament miracle.

En.marge : Cette démarche dérange en plus, disiez-vous, des intérêts puissants ?

Dr Sananès : Nous sommes face à deux tendances. La tendance tolérante et muette du Conseil de l'Ordre ou des Affaires Sociales s'explique par le fait qu'un homéopathe délivre des ordonnances deux fois moins coûteuses qu'un médecin allopathe. N'oublions pas que l'année prochaine vont apparaitre les sanctions contre les médecins qui auront dépassé la consommation pharmaceutique autorisée.

En.marge : L'heure est venue pour l'homéopathie ?

Dr Sananès : Peut-être, mais l'influence des laboratoires est encore trop forte. Nous sommes dans une guerre de religion, je le répète, où les arguments rationnels et les chiffres ne comptent pas vraiment. L'homéopathie reste une médecine "irrationnelle" qu'il faut combattre, même si elle guérit. L'évolution ne viendra donc pas de la ville, mais de la campagne, de l'écologie, des paysans, des patients. Une mère d'enfant en crèche qui en a assez de lui donner sans cesse des antibiotiques, qui décide de chercher quelque chose d'autre et s'aperçoit que l'homéopathie marche mieux et coûte moins cher, devient sans même s'en rendre compte le porteur du message homéopathique.

En.marge : Ce message ne risque-t-il pas d'être déformé ? Certains craignent que les patients ne comprennent pas la dimension globalisante de l'homéopathie ?

Dr Sananès : Le travail du médecin consiste à leur faire comprendre qu'il s'agit d'un traitement touchant à la fois le haut, le milieu et le bas. Si c'est un allopathe formé à l'homéopathie sur trois pattes, le risque existe. Mais c'est rare. La grande menace, étant donné l'innocuité des remèdes, réside plutôt dans l'offre de médicaments homéopathiques au comptoir, comme s'il s'agissait de compléments alimentaires. C'est la porte ouverte aux marchands de camelote.

* année ? probablement vers 1994/95